Dis, Jean-Pierre, pourquoi tu marches ?

Pourquoi  je marche ? Bonne question, et aussi pourquoi depuis le lieu de ma naissance ?


Ma naissance puis mon enfance, marqués par l’histoire de mes parents,  guident mes pas.

Leur  histoire et forcément la mienne, la nôtre, une histoire  de silence, ou plutôt l’histoire d’un langage différent.

Je suis un Enfant Entendant de Parents Sourds reconnu sous le sigle de EEPS (en français) ou CODA (acronyme anglais plus facile à prononcer parait-il : Children Of Deaf Parents)

Enfant, j’ai été baigné dans un bilinguisme particulier puisque ce bain de langage est principalement gestuel.

Je n’ai pas été habitué  à entendre les phonèmes oraux, ni à les écouter et à y prêter attention, sinon avec mes frères et sœur.

J’ai donc développé un sens de l’écoute très affiné ainsi qu’une vigilance visuelle 

  La communication en famille est non verbale : les expressions faciales, les regards, les positions relatives du corps guident une partie affective de mon apprentissage.

Le langage n’est plus envisagé comme exclusivement sonore, et les rapports entre gestes et production linguistique vocale sont conçus comme résultant d’un même processus mental sous-jacent. 

  Avec souvent l’impression de se trouver entre deux mondes et de faire sans cesse l’aller-retour entre les deux, je me sens entièrement bilingue et biculturel.

La gestualité EST le langage.

Tu vois que je réponds à la question !

Quand j'étais plus jeune, je considérais que mes parents étaient handicapés.

A l’adolescence, cela semblait être un fardeau. Aujourd’hui, plus du tout. Je sais que c’est  une richesse.

J’ai vu plus d’entendants handicapés, du cœur ou du cerveau, car incapables d'aimer, d’observer et/ou d’analyser.

Au quotidien, nous les enfants,  avons été les interprètes de nos parents. Cela a impliqué une certaine autonomie et une confiance transmise naturellement.

Une relation fusionnelle familiale s’est installée. Nous avions besoin d’eux pour grandir. Ils avaient besoin de nous pour entendre et se faire entendre. 

En étant sourds, mes parents ont aiguisé d’autres sens, la vue notamment. Ils lisaient les visages mieux que personne. Grâce à eux, j’ai toujours été dans l’image plus que dans le son.

Et aujourd’hui je suis photographe, ce n’est sans doute pas un hasard.

Tout mon corps parle sur le chemin……..